Voix de femmes
La nomade
Elle fait très jeune avec son chapeau drôle et original et ses vêtements artistiques. La Bulgarie n’est qu’un des arrêts dans ses voies globales. Elle a vu un jour dans Internet l’annonce pour un petit boulot et a pris l’avion Tokyo-Sofia.
Elle enseigne Japonais aux enfants d’un club de tae-kwon-do. Elle habite dans une auberge de jeunesse au plein cœur de la capitale bulgare en aidant le jeune propriétaire – un migrant lui-même qui vient de renter au pays – à le gérer.
Elle a vécu en Australie et Nouvelle Zenlande, a fait le tour de l’Irlande. Elle s’y plait partout et ne reste longtemps nulle part. Ne veut pas s’installer. Ne sait pas ou elle veut aller, mais sait qu’elle ne veut pas vivre au Japon. Elle le trouve trop régulé, sous trop de contrôle social, avec des rôles trop strictement définis. On attend des filles de son milieu à recevoir une bonne éducation, à se marier, etc.
Elle me ravit par son style artistique et original. Avec un grand sourire elle me raconte la surprise des Bulgares qui n’arrivent pas à réaliser comment une Japonaise peut vouloir s’habiller à l’occasion. Elle est attirée par la découverte. Chaque article est unique. On fouille, on cherche, il y a de la chance à se trouver soi-même, on est toujours différent des autres.
Elle rit à haute voix, fait des grimaces drôles, n’est pas pressée et offre généreusement de son temps. Ne comprend pas la frénésie de la sur occupation et fait « du bon usage de la lenteur ». Plusieurs de sa génération aspirent aux marques et standing, elle cherche l’unique et l’authentique.
La militante
Elle faisait des math à Leningrad, aujourd’hui Saint Petersburg. Soudain, un grand haut fort homme bulgare est apparu dans sa vie. Le tourbillon a été tel qu’avant de réaliser le changement elle s’est retrouvée mariée. Le premier fils est vite venu, dans le foyer son premier lit a été une vielle valise. Le temps passait rapidement et le second enfant a suivi, puis le troisième. Le mari a soutenu son doctorat, elle s’est diplômée et ils sont venus en Bulgarie.
Jeune famille intellectuelle, les enfants les accompagnaient au théâtre et cinéma des le plus jeune âge. Lire, aimer lire, parler lecture, vivre entouré de livres fait partie des marques de distinction de l’intelligentsia russe. Les trois enfants, déjà adultes bien diplômés et encore mieux installés dans trois pays différents, sont tous dans les nouvelles technologies, les livres restent une partie inséparable de leurs vies. La mère est toute heureuse que la langue a véhiculé la culture qui s’est cristallisée en identité.
La militante dirige une petite ONG qui accueille des femmes vulnérables. Elles colorent des poupées et surmontent trauma, solitudes, dépression. Certaines de ces femmes sont refugiées, la plupart – Bulgares, la Russe n’en fait aucune différence. Elle parle de son travail avec fierté, pas pathos, avec compréhension, pas pitié. Ses yeux brillent quand elle raconte les réussites de ses ex clientes, dont certaines déjà indépendantes.
« 3 en 1 »
« D’où viens-tu » est invariablement la première question qu’on lui pose. Elle hésite toujours comment répondre, car elle est d’ici – de naissance, langue maternelle, citoyenneté. Les gens n’écoutent pas comment elle parle, mais regardent comment elle est. Son père Nigérien et sa mère Bulgare l’ont dotée d’une exotique beauté.
Différence rime avec regard. Elle décide de le capitaliser, de transformer être regardée en profession – modèle et hôtesse de l’air . Elle fait partie de la génération « 3 en 1 » et réussit avec légèreté plusieurs activités : du défilé de mode va à la fac pour son cours de sciences po et de la continue vers l’aéroport pour prendre le vol suivant.
Etre représentante de minorité visible pourrait dégénérer en stigmate ou se convertir en chance de carrière brillante. Elle choisit le second, transformer la différence en réussite. Ses occupations sont artistiques, ses études universitaires – sérieuses.
La Bulgarie est sa patrie ; sa curiosité et ses origines la pousse à parcourir et découvrir le monde. Elle se sent confortablement dans le mouvement et la mobilité.
La prof de dance
Je l’avais d’abord connue à travers les récits de ses élèves – toutes éprises de la sagesse, la beauté, l’art de vivre de la culture indienne dont elles s’imprégnaient pendant les classes de danse. Professions libérales, carrière brillantes ou prometteuses, ces jeunes Bulgares dynamiques et mobiles étaient surprises de se découvrir toutes passionnées pour cette danse ancienne dont la prof ne promettaient aucune maitrise définitive – on ne fait que s’approcher de la perfection sans jamais l’attendre. Eprises encore plus de la prof qui – par le discours musical et chorégraphique – arrivait à toucher leurs plus profondes sensibilités interculturelles.
« Quand je suis plongée dans la poussière, le brouhaha, les vagues de personnes dans rues et marchés, des larmes chaudes ont commencé à couler, je sentais que j’étais rentrée chez moi ». C’est le récit magnifique de cette Italienne, mariée à un Bulgare, qui visite l’Inde pour la première fois dans sa trentaine bien avancée. La « patrie »comme pure construction symbolique, totalement déterritorialisée, enracinée que dans l’imaginaire, l’identitaire, l’interculturel. Danses et culture indiennes sont sa passion et vocation, la traduction reste sa profession. Un métier qui ne pourrait entre mieux choisi renvoyant à la métaphore de Simmel de pont qui connecte cultures et personnes.
L’écrivaine
Nomade de sort, pas de choix, elle est née en Cote d’Ivoire dans une famille libanaise, puis s’installe au Maroc. Considère le Liban comme sa patrie, mais y a vécu moins de temps qu’en Afrique ou en Europe. Les aléas des politiques migratoires l’emmènent en Bulgarie qui se trouve un des rares pays ou elle arrive à s’installer avec son mari – refugié Palestinien.
La vie de refugié est souvent problématique. Son mari perd le petit business, la famille perd peu à peu le petit capital, elle ne perd jamais le courage. Sa propre famille fréquemment en difficulté, elle n’arrête pas à initier et participer dans des initiatives caritatives.
Plus encore, elle se refait une autre vie à elle-même. Dans sa soixantaine elle se met à écrire, poèmes blancs, essais, notes et commentaires. Sublimer trauma, insécurité, espérance dans l’écriture, le« Le refugié solitaire , son poème emblématique, en atteste.
***
Si j’ai commencé par ces portraits de femmes, c’est pour trois raisons :
- théorique . Ils illustrent différents types et logiques migratoires que je vais articuler par les concepts de mondialisation, système-mode et système migratoire, super-diversité, « eurostars and eurocities », « empowerment ». Je vais questionner ces concepts à travers les expériences migratoires postcommunistes.
- empirique. Faire sentir le terrain, encore sous-étudié et sous-analysé. Les recherches du phénomène migratoires est-européen sont fortement marquées par la domination du regard occidental. Cette occidentalisation des perspectives politiques et analytiques est réductrice par rapport à la complexité de la condition migrante postcommuniste. Elle assigne des localités aux facteurs push et pull, les nouveaux pays européens se retrouvant surproducteurs des premiers et dépossédés des seconds. Un petit exemple en illustration : Dans l’ouvrage collectif récemment publié Women in new migrations. Current debates in European societies (Slany, Kontos and Lapi 2010) le concept de « nouvelles migrantes» couvre surtout les émigrées des pays de l’Est. Bien que publié en Pologne, le livre ne traite les immigrées en Europe de l’Est que dans deux cas (sur dix)[1].
- civique : Invisibilisées, parce que sous-étudiées et sous-écoutées, les immigrées dans les pays d’émigration ont besoin de prendre la parole.
L’objectif de l’article est double :
- proposer une approche inédite et analyser l’immigration postcommuniste à travers la perspective des femmes. L’intention est de présenter une alternative aux recherches des femmes migrantes qui se concentrent sur leurs particularités et risquent parfois de les « ghettoïser » théoriquement ;
- polémiquer avec le mainstream conceptuel des études des femmes qui les conceptualise prioritairement en termes de discrimination, vulnérabilité, inégalités, laissant peu d’espace théorique à l’empowerement.
(Im)Possible mondialisation par le bas
“While there is no agreement about what globalization is, the entire discourse on globalization is founded on a quite solid agreement that globalization is” (Bartelson 2000: 180).
C’est la formule un peu paradoxale par laquelle Bartelson résume, d’un coté, l’énorme intérêt pour la mondialisation qui produit des bestsellers (Huntington 1996, Bauman 1998, Beck 2000) et une avalanche de publications(Mercure 200, Elbaz and Helly 2000, Krasteva et Todorov 2004) et, d’un autre coté, la diversification des modèles explicatifs. Cet intérêt marque le passage d’une conception de la société vers une autre, la première basée sur le temps, la seconde sur l’espace[i]. Cette transition épistémologique ne cherche pas à tourner le dos à la temporalité et à la durée. Ses ambitions s’orientent dans deux autres directions : relativiser le déterminisme, part inhérente de l’historicisme, et donner une chance à la contingence (Krasteva 2004).
Trois caractéristiques de la mondialisation sont pertinentes à l’analyse de ses relations avec la migration : l’émergence du système-monde[2], la confirmation de la métaphore des réseaux et la self-réflexivité des acteurs.
“The international realm is a patchwork of countries… The global sphere is constituted by networks of supranational flows” (Scholte 1996: 572, in Bartelson 2000: 190).
Le remplacement de l’Etat –nation par réseaux et flux détermine l’imaginaire social et politique à l’époque de mondialisation et confirme la migration comme sa manifestation inévitable et nécessaire.
L’autoréflexivité est la troisième caractéristique fondamentale de la mondialisation. Etre conscient de soi-même comme global est le premier pas vers se transformer en global. Se penser comme mobile est le premier pas pour entrer les flux globaux.
La Japonaise nomade en est un des innombrables exemples. Elle parcourt le globe se frayant des chemins imprévisibles et individualisés. Elle illustre le passage des « flèches aux spaghettis » (Herzlich 2004), des grandes routes migratoires tracées par de fortes logiques économiques et politiques vers les itinéraires atypiques, inattendus, non répétitifs. La nomade est un cas unique, exceptionnel, mais d’autant plus révélateur pour la diversification et l’individualisation des parcours qui caractérisent la condition migrante postcommuniste.
Paradoxalement, le postcommunisme n’est pas un nouveau début, mais plutôt une fin radicale, même deux – « la fin de l’histoire » et « la fin de la géographie ». F. Fukuyama a défini la fin de l’histoire comme l’extinction des alternatives à la démocratie libérale. Je vais élargir le cadre théorique en soulignant que la fin du communisme signifie aussi la fin du temps clos et l’entrée dan le temps global. U. Beck développe l’idée que le « globe est devenu compact en termes de temporalité :
Events from different parts of the world and with varying significance can now be relocated on a single temporal axis, instead of many different ones. The many times in the many regions of the world are being drawn together into a single standardized and standardizing world-time…“(Beck 2002: 21)
R.O’Brien a annoncé une autre fin – « la mort de la distance » et « la fin de la géographie » (O’Brien1992).
Les deux sont des expressions de la mondialisation. L’Europe de l’Est a quitté les cadres de l’espace et du temps, tous les deux clos et subordonnés au projet communiste, pour entrer dans l’espace global et la temporalité de la post-modernisation.
C’est notamment ce temps-espace plat et synchronisé que a permis la rencontre de la société bulgare avec l’immigration d’origines lointaines et exotiques, non déterminée ni par histoire, ni par géopolitique, comme celle plus grande de la Chine, comme l’autre beaucoup moins nombreuse de l’Inde et comme le cas de la Japonaise nomade, unique et sympathique.
Système-monde ou système migratoire
Un des paradoxes du communisme était qu’il avait érigé le marxisme en idéologie officielle, mais l’ignorait par rapport à ses nouveaux développements théoriques. C’est le cas notamment de la conception du système-monde.
Le premier à élaborer l’idée que le monde globalisé n’est pas juste l’interaction entre ses différentes parties, mais quelque chose de plus, est I. Wallerstein . Il définit ce « plus » à travers la notion de « système-monde » (Wallerstein 1981). Dans son cadre théorique la société globale a une hiérarchie, centre, périphérie, une structure unifiée. Le capital, aussi bien que la force de travail, opèrent sur la scène mondiale, mais le font de manière asymétrique. Les capitaux et les marchandises circulent librement, la force de travail est tenue à la périphérie – nationale et globale. Le capital transnational « exproprie » des travailleurs le droit de décision de migrer au nom de leur développement et prospérité individuelle pour les soumettre aux intérêts des marchés et de la domination économique.
Cette conception d’inspiration néo-marxiste n’était ni appliquée, ni connue.
La femme russe de mon second exemple illustre une autre logique d’immigration. A la différence de la Japonaise, elle est un cas typique. A plusieurs égards. D’abord, parce qu’elle représente la plus grande communauté immigrée en Bulgarie – russe. Second, parce que la formation de cette communauté a été possible grâce aux liens géopolitique des pays d’origine et d’accueil. Ce type de migration s’inscrit plus dans le modèle de système migratoire.
Dans le cas du système-monde la logique est économique et rime avec profit et domination, dans celui du système migratoire la logique est politique – la Bulgarie tournait dan l’orbite de l’URSS. La même logique de soutenir des alliés politiques a produit d’autres immigrations comme celle des étudiants africains et arabes.
L’attrait de la Bulgarie se nourrit de deux sources : démographique et symbolique. La Seconde guerre mondiale a créé un déséquilibre démographique effrayant entre les genres que plusieurs femmes russes essaient de remédier par des mariages à l’étranger. La composition majoritairement féminine de l’immigration russe en Bulgarie en est une des expressions. Dans les années 70 l’Ouest connait la transition du travailleur migrant à la famille migrante (Morokvasic and Catarino, 2010). La Bulgarie vit la transition opposée : de la famille mixte des années du communisme vers la migration économique du post communisme.
La seconde raison renvoie aux représentations : la Bulgarie était perçue comme l’Ouest de l’Est. Ce facteur politique est parfois plus important que le facteur culturel – proximité des langues slaves, Orthodoxie, alphabet cyrillique…. Cet Ouest imaginaire continue à marquer les itinéraires des Russes de la seconde génération – dans les narrations et dans les mobilités. Les mères ont fait le premier pas vers l’Ouest en s’installant en Bulgarie, perçue comme plus ouverte et moins dure que l’URSS. Plusieurs filles ont appris la leçon et ont continu éla migration vers la terre promise, de l’Ouest de l’Est vers l’Ouest.
Super diversité – factuelle et imaginaire
La vitesse avec laquelle la notion de super-diversité forgée par Steven Vetrovec (2007) est devenue un concept-phare montre qu’elle a été longtemps attendu. Il la definite comme :
A notion intended to underline a level and kind of complexity surpassing anything the country has previously experienced. Such a condition is distinguished by a dynamic interplay of variables among an increased number of new, small and scattered, multiple-origin, transnationally connected, socio-economically differentiated and legally stratified immigrantswho have arrived over the last decade. Newpatterns of super-diversity pose significant challenges for both policy and research (Vetrovec 2007, p. 1024).
La super-diversité est la « traduction » migratoire de l’hyper modernité de G. Lipovetsky (2009) ou tout aspire à croitre, à devenir plus grand, plus important, plus puissant. La force du concept est qu’il met l’accent sur la diversification de l’immigration et la temporalité compacte du changement migratoire. Les deux caractéristiques sont pertinentes aux sociétés postcommunistes. Plus encore, elles sont renforcées par le double passage : de société fermée vers société ouverte ; de la politique communiste de « migration zéro » extrêmement réduite et contrôlée à la double découverte simultanée de l’émigration et de l’immigration.
La jeune Bulgare de père Nigérien et de mère Bulgare illustre une autre dimension de la super-diversité – la (in)capacité de la société à absorber la diversité, à l’accepter et la reconnaitre.
La multidimensionnalité de la super- diversité est le cadre théorique dans lequel je dresserai le portrait de l’immigrée en Bulgarie.
La féminisation de l’immigration est un phénomène relativement récent à l’Ouest. Le décalage entre l’Ouest et l’Est après la SGM – plus le premier s ouvrait à l’immigration, plus le second se fermait – n’a pas retardé la féminisation de la dernière. Paradoxalement, l’immigration en Bulgare est advenue comme féminine. La première et plus grande communauté qui s’est formée après la Seconde guerre mondiale et aujourd’hui reste toujours la plus nombreuse est largement féminine. Elle est composée de ressortissants de l’URSS – Russes, Ukrainiennes, Biélorusses, etc.
Les femmes sont inégalement présentes dans les différentes communautés: elles sont largement majoritaires dans le groupe russe ; à quelques exceptions, les Africains et les Indiens ne sont que des hommes ; les communautés arabe et chinoise se situent entre ces pôles et les femmes comptent entre un quart et un tiers.
En manque de politique d’intégration, les stratégies d’insertion sont conçues, forgées, changées en fonction de trois facteurs : l’entrecroisement et l’interaction de modèles culturels des rapports gendrés, l’individualisation des approchements/éloignements envers la société d’accueil ; les jeux d’images et représentations réciproques entre femmes Bulgare et femmes immigrées.
L’Arabe préfère souvent le rôle traditionnel de la femme au foyer. Elle est aussi la plus impressionnée par la Bulgare active et autonome. L’indépendance et la liberté de la dernière joue comme un catalyseur pour la transformation des rôles traditionnels – les filles de la seconde génération revendiquent plus d’autonomie, les mères commencent à participer dans le business familial et même a faire une carrière indépendante. Une des raisons que des informantes chinoises évoquent pour le choix de la Bulgarie est le modèle familial semblable entre pays d’origine et d’accueil qui ouvre un large espace à l’activité de la femme. La Chinoise est entreprenante, laborieuse, active. Les Russes sont presque indiscernables des Bulgares . Le concept de niche ethnique leur est totalement inapplicable : on les retrouve partout dans l’échelle professionnelle – du business à l’éducation, des services au tourisme. L’administration continue à rester largement monoculturelle, les Russes sont les seules à y travailler.
La super -diversité renvoie à la fois à la croissance rapide et significative du phénomène migratoire, renforcé par la diversification de la féminisation, mais encore plus à l’intensification des regards interculturels croisés. Les femmes Bulgares n’ont jamais eu auparavant la possibilité de voir à cote d’autres modèles de rapports gendrés, de se comparer, de se comprendre mieux. Elles découvrent cette position inédite de référence, cette image d’autonomie, d’activité, d’indépendance qui leur est renvoyée par l’Autre et dans laquelle elles voient plus encore que leur expérience vécue, leur propre modèle de réalisation. Altérite et autoréflexivité interfèrent, les changements de rôles et rapports gendrés sont facilités et catalysés, la réussite – valorisée.
« Old » Eurostars in new eurocities
La mondialisation accélère le mouvement des capitaux et des marchandises, mais n’arrête pas à bâtir des barrières pour contrôler, empêcher, orienter la mobilité des personnes. L’Europe s’ambitionne à remédier cette asymétrie, à bâtir un large espace de mobilité :
Freedom of movement of persons may just be the most remarquable achievement of the European Union, of is slow fifty-pus year progress towards integration, enlargement, and unity (Favell, 2009, p. 3).
Liberté est le mot-clé de cette mobilité – liberté spatiale, sociale, culturelle, existentielle :
… freedom from the nation-state, denationalized freedom : in both the spatial(economic) and cosmopolitan (cultural) sense (Favell, 2009, p. 9). The liberating feeling can even get to be addictive. It could even hold the key to the deepest freedom of all: freedom from your self (Favell, 2009, p. 11).
L’Italienne – interprète de profession et prof de danse indienne de passion – illustre cette mobilité et incarne ses principales caractéristique : caractère urbain[3], mouvement Europe-Europe, travail hautement qualifié, sensibilité interculturelle, gout pour la découverte et l’altérité. A. Favell labélise cette mobilité par le terme réussi d’« eurostars » dont les fortes connotations renvoient à la fois à mobilité et à réussite. Cette mobilité est exceptionnelle. D’abord, parce qu’elle est aimée par décideurs et responsables politiques. Si toutes les autres formes de migration sont restreintes, les eurostars sont stimulés, ils sont l’incarnation la plus tangible de la construction européenne. Elle remédie aussi à la perte de cerveaux fortement attirés par les paradis de la haute technologie, recherche et développement comme les Etats Unis.
Experts, investisseurs, consultants, conseillers, professions libérales, ou aventuriers, le nombre de citoyens européens à s’installer dans les nouveaux membres croit considérablement pour atteindre le rang de seconde communauté après le groupe russe.
A la lenteur des reformes, à la pauvreté et manque de perspectives, au désenchantement du postcommunisme, nombreux citoyens des PECO ont réagi par une triple réponse : émigration, émigration, émigration. Dans ce contexte la mobilité opposée – Ouest-Est, des vieux vers les nouveaux membres – reçoit tout son sens. Déterritorialisé par l’émigration de nouveaux Européens, l’Est se découvre reteritorialisé par des « anciens » Européens.
Empowerment
Deux pôles structurent les débats sur l’immigration féminine. Le premier localise la question de la femme à l’intersection des structures de pouvoir et de domination. Il est articulé lui-même en deux interprétations : le concept de patriarchie est central dans une des approches, tandis que dans l’autre les inégalités entre les genres façonnent les position sociales et la distribution des ressources. Le travail des femmes est positionné dans le système capitaliste mondialisé :
Women migrant provide the flexibility the global capital needs. They are located within a secondary, service-oriented, and often hidden labor market, which is divided into male and female jobs and reproduces a labor market divided ethnically and by gender (Anthias and Cederberg 2010, p. 24).
Le second pole renverse la perspective et conceptualise la migration féminine non pas en termes de structures économiques et de pouvoir, mais en termes d’acteurs. Il interprète la migration dans la perspective d’émancipation et d’opportunités (Morokvvasic and Catarino, 2010).
L’écrivaine qui se met à écrire à un âge senior, qui milite dans des ONGs et participe dans des forums migrants sur Internet s’inscrit dans cette seconde interprétation. Si je l’ai choisi pour clore ce bref panorama des femmes immigrées dans un pays d’émigration, c’est pour deux raisons – empirique et théorique :
- Ukrainiennes en Pologne (Slany, Malek, Slusarczyk 2010), Bulgares en Grèce et Italie, Philippines un peu partout, le travail domestique est « calqué sur le modèle de la domesticité traditionnelle, producteur de domination dans l’espace mondial » (Rouleau-Berger, 2011). Le travail de care fonctionne à la fois comme image économique et comme métaphore de la condition migrante féminine. Il ne s’applique pas au cas bulgares. Les homologues Arabes ou Chinoises des domestiques Ukrainiennes en Pologne ou des Bulgares en Grèce travaillent dans le petit commerce , la restauration ou le business familial, des occupations pas toujours mieux payées, mais mieux valorisées.
- Le débat sur la question migrante féminine est présent dans la littérature, le tableau théorique reste pourtant asymétrique, l’accent étant surtout mis sur inégalités et domination. Les migrantes restent « enfermées » dans les structures et soumises à des pouvoirs économiques, traditionnels, familiaux. Ce cadre analytique ne permet pas de concevoir la complexité des profils féminins, la conception et la réussite des projets migratoires, la (re)construction de soi dans la mobilité. Le pathos du présent article est de défricher le terrain théorique pour ouvrir de l’espace a l’autonomie et l’activité des acteurs, la capacité de se reconstruire dans la migration, de transformer la migration en opportunités, émancipation, empowerment.
Conclusion
Nous assistons à des phénomènes de déterritorialisation-reterritorialisation qui mettent au jour des disjonctions et des conjonctions entre espaces sociaux, politiques, économiques et symboliques de légitimité variable (Rouleau-Berger, 20010, p. 175).
Cette logique de déterritorialisation-reterritorialisation à légitimité variable est au cœur de la question migrante post communiste. Si l’émigration de la Bulgarie s’inscrit dans les modèles classiques de centre-périphérie, même si tous les deux européens, l’innovation est au niveau de l’immigration. L’immigration simultanée et non pas successive à l’émigration, distingue le postcommunisme du modèle méditerranéen et des sociétés d’immigration plus ancienne. Ici nous sommes au niveau de la temporalité politique et historique.
Le plus intéressant est au niveau du profil de l’immigration – générale, aussi bien que féminine. Les cinq portraits de femmes l’ont illustré : différentes dans tout – parcours migratoire, langue, culture, profession, elles sont semblables dans l’essentiel – autoréflexivité et (re)construction de soi, autonomie, indépendance. Ce profil ouvre des perspectives pour une conceptualisation positive de l’immigration comme nouvelles opportunités, émancipation et empowerment.
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[1] Ce déséquilibre ne fait que se renforcer parce que appuyé et légitimé par la Commission européenne finançant le projet.
[2] Elle sera analysée dans le paragraphe suivant.
[3] A l’exception des Britanniques qui achètent des maisons et s’installent dans les villages, l’immigration en Bulgarie est largement urbaine. C’est d’autant plus valide pour les femmes dont l’espace d’installation est la ville.
[i] The global has replaced the universal, and space has replaced time (Therborn 2000).
Anna Krasteva , « Regards de femmes », SociologieS [En ligne] , Dossiers , Migrations, pluralisation, ethnicisation des sociétés contemporaines , mis en ligne le 18 octobre 2011