De la migration comme contrainte à la mobilité comme liberté

 « Le monde est grand et le sauvetage guette de partout »

C’est le titre attractif d’un livre et d’un film. Bulgarie, Afrique, Asie, Allemagne – ce n’est qu’une partie du trajectoire de l’auteur qui a vécu dans trois continents. Né en Bulgarie de parents orthodoxes, il s’est converti à l’Islam et aujourd’hui écrit ses œuvres en allemand. Tant de déplacement et de nomadisme ne peut  que marquer son imagination créative.

Dans un accident de voiture un jeune Allemand perd ses parents et sa mémoire. Un grand père apparait de nulle part.  Tombé dans une apathie totale, le personnage ne veut rien savoir, rien faire. Le grand père le pousse, le contraint à partir. Un long périple en vélo à travers l’Europe, de l’Allemagne à la Bulgarie, un retour sur les pas de ses parents.  Ils se sont échappés du communisme en traversant la frontière à pieds ; un soldat les a aperçus, mais faisant semblant de ne pas les voir, leur a offert une seconde vie. Une seconde vie de péripéties dans des champs pour de refugiés, d’épreuves, de vie professionnelle et privée brisée. Le pèlerinage de mémoire fait son travail : le jeune retrouve sa mémoire, mais bien plus important, il se retrouve et se reconstruit. Se réconciliant avec son passé, il se libère de l’angoisse existentielle du déplacé, qui n’appartient nulle part, pour retrouver la sérénité, l’équilibre, l’amour, la capacité  de choisir, décider, agir.

Si j’ai commencé par ce beau livre, c’est pour deux raisons : théorique et méthodologique. Avec toute la subtilité  littéraire, le roman illustre que contrainte politique et quête identitaire sont intimement liées dans les migrations (post)communistes . Entre la logique gouvernementale de l’Etat et les micro stratégies des acteurs, quelle perspective   privilégier pour mieux comprendre ces migrations ? Les deux approches renvoient à deux images différentes des migrations : flèches et spaghettis. La première se réfère aux flux, la seconde – aux parcours individuels. Les flèches expriment la continuité et le typique, les spaghettis sont l’image de l’individualisation, de l’imprévisibilité, du changement. La première forme renvoie au contrôle, la seconde – à l’affectivité.

Le concept de gouvernance permet de transcender ce dilemme méthodologique en intégrant les deux volets dans un schéma explicatif qui inclut aussi bien les flux organisés que les assemblages de préférences individuelles. Le succès passe par la mobilisation d’une multitude d’acteurs sociaux : entrepreneurs, salariés, acteurs religieux, collectivités territoriales, ONG spécialisées dans les droits de l’homme et le développement. Dans cette vision, « la gouvernance n’est pas synonyme de gouvernement, mais indique au contraire un cadre de conception, de réflexion et de délibération permettant de réunir des acteurs publics et des acteurs privés, des acteurs nationaux, internationaux et transnationaux, participant tous  à la définition d’objectifs  communément partagés, coordonnant leurs moyens et leurs ressources pour parvenir  à un traitement plus fonctionnel et plus rationalisé » (Badie et al 2008, p. 47).


Portrait du migrant est européen

Dresser le portrait du migrant est européen est mission impossible. Trois raisons expliquent cette difficulté théorique. La première renvoie au fait que les mêmes concepts n’ont pas les mêmes référents. Le concept de refugié couvre des phénomènes  différents en Serbie en comparaison avec la Bulgarie et la Roumanie. Les refugiés en Serbie viennent de Bosnie et Herzégovine, Croatie, Kosovo, ceux dans les Balkans orientaux – d’Afghanistan, Irak, Somalie, etc. L’origine des premiers sont les pays voisins, l’origine des seconds – des pays très lointains ; les uns sont le résultat  de conflits et des  guerres après l’éclatement de la Yougoslavie, les autres – des  plus grandes zones mondiales d’instabilité. Le premier groupe a un profil purement balkanique, le second – global.

La Balkans orientaux et occidentaux se distinguent nettement par rapport  à la spécificité de leurs flux de refugiés respectifs, la Roumanie et la Bulgarie ayant un profil très proche des autres pays membres de l’Union européenne,  la Serbie et les autres pays des Balkans occidentaux – un profil balkanique.

La seconde raison est que les pays voisins ne vivent pas les mêmes phénomènes migratoires. La Bosnie et Herzégovine sont le foyer de plusieurs personnes déplacées, ce phénomène n’est pas connu en Bulgarie et en Roumanie.

La troisième raison renvoie au paradoxe que la diversification des types migratoires balkaniques est souvent interprétée de l’extérieur dans la perspective du narcissisme des petites différences.  Le regard intérieur, par contre,  distingue trois modèles différents dans les Balkans.

Le premier ou le modèle post conflictuel  de l’espace géopolitique de l’ex Yougoslavie se caractérise par un nombre significatif de refugiés et de personnes déplacées, ainsi que par une reconfiguration profonde des communautés ethniques et religieuses et de leur vivre ensemble (Krasteva 2010).

Les migrations des Balkans orientaux s’inscrivent dans  le modèle méditerranéen, avec, pourtant, une différence significative.  Comme les pays du Sud européen, la Bulgarie et la Roumanie découvrent l’immigration  tardivement. A la différence de l’Italie,de l’Espagne, du Portugal et de la Grèce qui ont longtemps été de grands exportateurs d’émigration avant de se transformer en destinations, la Bulgarie et la Roumanie découvrent l’émigration et l’immigration (presque) en même temps. Le modèle portugais est d’autant plus intéressant et riche de leçons théoriques et politiques.

Le troisième modèle est celui de pays d’origine typique. L’Albanie en est l’exemple le plus accompli aussi bien en termes quantitatifs que qualitatifs (Memaj F. Qarri A., P. Dollani 2010).  Elle produit tous les types de migration – asile, migration de travail, trafic.[3]

La dernière remarque introductive concerne le cadre théorique. Deux schémas conceptuels prédominent dans les études des migrations est européennes : la théorie économique néoclassique et la conception sociologique de facteurs push-pull. Les deux sont pertinentes, mais leur validité n’est que limitée. Toutes les deux devraient être contextualisées dans le binôme fermeture – ouverture. Dans le contexte post communiste, la migration  est liée à Avoir, mais aussi à Etre, Avoir plus, mais surtout Etre autrement : prendre sa vie en main, décider du lieu de

résidence[4]. Dans la perspective théorique de cette analyse, la migration est conçue comme mobilité et affranchissement, travail et constitution de Soi.

Les trois D

Les trois D est l’étiquette collée aux migrants irréguliers pour caractériser leur travail : difficult, dirty, dangerous.  L’objet n’étant pas pas l’immigration illégale,[5] je vais donc utiliser une autre triade : dynamique, démographie, diversité.

Dynamique

Les deux dernières décennies les PECO se sont affirmés parmi les leaders mondiaux migratoires.  Huit parmi les 10 top sont des PECO :[6] Bosnie, Albanie, Slovénie, Arménie, Kazakhstan, Belarus, Géorgie, Moldova (Mansoor and Killing 2006).

C’est du connu. Ce qui est moins connu – et moins reconnu – est que parmi les PECO il y a des grands pays d’immigration. La Russie en est l’exemple. Depuis 1982, le solde migratoire est toujours positif, l’immigration dépasse de peu ou de loin l’émigration, le pic étant en 1994 quand le solde approche 1 mln : 200 000 quittent le pays, près d’un 1 200 000 viennent s’y installer[7].

Les Balkans se sont affirmés comme la zone européenne la plus mobile pendant les années 90 : 10 millions de 80 mln sont partis ou ont été déplacés. Deux caracteristiques dressent le portrait de ces flux importants, les plus significatifs en Europe après la Seconde guerre mondiale : forcées et ethniques.  A la guerre comme à la guerre, ces millions, forcés de partir, sont le prix humain des conflits et guerres après l’éclatement de l’Yougoslavie.

La contrainte, mais aussi la liberté : les deux sources principales de la dynamique migratoire pendant cette période initiale sont polaires. Pendant que les Balkans occidentaux se déchiraient en conflits fratricides, les Balkans orientaux découvraient la liberté de mobilité et le « vote par les pieds ».

Démographie

Imaginons deux cartes : de la richesse/pauvreté et de la (de)croissance démographique.[8] Dans la première les Etats Unis sont énormes, l’Europe et le Japon – solides, on aperçoit à peine l’Afrique. La seconde nous présente l’image d’une grande Afrique,  Chine et Inde sont énormes, l’Europe – assez modeste. Ces belles cartes sont l’expression visuelle du rapport inversé entre démographie et économie. La migration en fait le pont, la démographie «  va » vers  l’économie. C’est la «  règle » des grandes migrations Sud-Nord. Les migrations Est-West renversent ce schéma classique : les PECO sont marqués par un déclin démographique, qui est encore plus prononcé qu’en Europe occidentale. La Roumanie est caractérisée par une  décroissance démographique ; la Slovénie et la Bulgarie sont en bas des statistiques de fertilité avec moins de 1.2 enfants ; pour diagnostiquer la situation en Bulgarie on utilise des étiquettes alarmantes comme « choc démographique » et « crise de population » (Tragaki 2007). Il y a une exception qui ne fait que confirmer la règle : l’Albanie qui est la seconde population la plus croissante en Europe (ibid).

Emetteurs d’émigration plus faibles démographiquement que les destinataires, telle est la « contribution » des PECO  à la dynamique européenne de population. Déclin démographique et forte émigration, comment gérer ce couple doublement négatif est un des grands défis des gouvernements est-européens, souvent inefficaces et dépourvus de visions stratégiques.

Diversité

Deux tendances opposées concourent pour déterminer la diversité : l’homogénéisation forcée et l’inscription dans la mondialisation.

Du pointillisme au cubisme, cette image artistique illustre l’homogénéisation forcée et le changement des cartes ethniques qui en résulte. Avant les guerres, la Yougoslavie était une telle mosaïque de peuples, ethnicités et religions, si intimement mélangés qu’on pourrait penser à un tableau de Seurat.  Apres les migrations ethniques – 300 000 Serbes ont quitté la Croatie ; la Bosnie et Herzégovine a battu tous les records avec les 2.6 mln de personnes déplacées dont 1.2 refugiés ; 150 000 Albanais ont quitté la Macédoine en 2001 (Baldwin-Edwards 2005) – le tableau ethnique est déjà d’inspiration cubiste : grandes surfaces « pures » et homogènes.

L’Est Européen n’a pas de passé colonial et la conception des couples migratoires ne l’explique pas. Ouvriers vietnamiens, restaurateurs chinois, kébab arabe, étudiants indiens, ce mixte illustre l’inscription des PECO dans la mondialisation.

A moyen et long terme, la diversification va l’emporter sur l’homogénéisation. Les retours de nombreux refugiés et personnes déplacées dans les pays de l’ex Yougoslavie ne réussit pas à compenser les effets dévastateurs du nettoyage ethnique, mais les adoucit. De deux manières : sociologique et symbolique. Les retours recréent la diversité ethnique et confessionnelle, mais, plus significatif encore, la reconfirme comme norme et valeur.

Figures d’altérité :

les migrations des PECO

Les migrations est européennes seront analysées dans deux   axes : migrations des PECO et migrations dans les PECO et analysées par rapport aux représentations, flux,  politiques.

Les immigrés communistes étaient conçus à l’Occident comme (presque) parfaits : ils étaient peu nombreux et peu couteux. Ayant rejeté et échappé aux régimes autoritaires, ils étaient la preuve tangible et visible de la supériorité des démocraties occidentales.

Trois figures d’immigrés est européennes focalisent aujourd’hui l’attention de l’opinion publique : les femmes trafiquées, les Roms Roumains, le plombier polonais. Le commun entre ces figures fort différentes, illustrant des types divers de migration,  est la connotation négative. Du major au minor, la gamme des attitudes a radicalement changé. L’opinion publique occidentale appréciaient les immigrations communistes, mais, paradoxalement, beaucoup moins celles des nouvelles démocraties postcommunistes.

La production d’altérité a changé de registre : avant, l’altérite était incarnée par le régime communiste, les immigrés politiques, fuyant ces régimes, étaient considérés  à l’Occident comme « des notres » ; aujourd’hui, plusieurs PECO étant membres de l’UE, ils sont du répertoire de l’identique, l’altérité est personnifiée dans l’immigré.

Pendant l’ancien régime l’altérité était pensée en termes d‘idéologie, aujourd’hui – en termes d’immigration.

Henry Mendras (1997) avait écrit un livre au titre significatif L’Europe des Européens, distinguant la vraie Europe de l’Autre Europe. Dans cette vision essentialiste qui conçoit l’Europe comme héritage et identité et non pas construction, les Est Européens sont condamnés à rester moins Européens.

La comparaison de la politique migratoire avant et après les changements démocratiques sera structurée autour de deux axes : principe et priorité.

Si l’on voulait résumer en un mot la politique migratoire communiste, ce serait incontestablement « politisation » (Krasteva 2008). La migration était « nationalisée », extraite de la sphère privée pour devenir affaire d’Etat. Si en  théorie on distingue deux formes de migration : économique et politique, le communisme les a inextricablement unifiées. La politique migratoire n’était pas conçue comme une politique publique parmi d’autres – sociale, culturelle, de santé -, mais comme une priorité d’Etat. Le contrôle communiste des mouvements de populations était total. Il concernait l’entrée des étrangers dans le pays, mais surtout et avant tout, la sortie des nationaux. Le principe de cette politique est la sécurité, conçue dans la pure tradition classique comme sécurité d’Etat.

Au lendemain de la transition démocratique, le tableau s’est transformé aussi rapidement que radicalement. La politique a changé, tout en gardant un aspect paradoxal. Pendant le communisme, il y avait beaucoup de politique et (à cause de cela) peu de migration. Pendant le postcommunisme[9], il y a beaucoup de migration et (malgré cela) peu de politique. La mobilité est devenue une affaire des individus, une liberté nouvelle, consommée avec plaisir et avidité.

L’européanisation n’a pas réduit, mais a, au contraire, renforcé le caractère paradoxal des politiques migratoires.  Le « tout sécuritaire », l’obsession des frontières, l’emportent sur les droits de l’homme. Comme souligne Bernard Philippe : « Le droit de quitter son pays, défendu par les Occidentaux quand l’URSS le bafouait, est banni dans certains pays  d’émigration avec la bénédiction des pays développés » (Philippe 2008, p. 117).

En une petite vingtaine d’années, les PECO sont sortis du « tout sécuritaire » communiste pour entrer dans le « tout sécuritaire » européen.

Ni sélectionnée, ni subie :

l’immigration dans les PECO

L’immigration dans les PECO se multiplie et se diversifie, les origines et les formes varient.  J’en présenterais un profil concis à la base de cinq communautés – Russes, Chinois, Arabes, Africains et Britanniques – que j’analyserai par rapport  à leur visibilité, vagues et profil socioprofessionnel. Pour plus de cohérence de cette brève présentation, les exemples seront tirés de l’immigration en  Bulgarie, mais la validité de l’analyse est plus large.

La communauté russe est la plus paradoxale – la plus nombreuse et la moins visible. Pour deux raisons très différentes, l’idéologie pendant l’ancien régime, l’intégration aujourd’hui. « Le Big Brother » ne pouvait être minoré en minorité. Avant, comme aujourd’hui, cette communauté est bien intégrée, au plan professionnel et culturel. Dans les deux cas, privilégiée ou proche, ni exotique, ni problématique, la communauté n’attire pas l’attention publique et médiatique.

Les Africains sont à l’opposé des Russes – très peu nombreux, mais très visibles. Ils sont aussi considérés comme plus « exotiques », le pays n’ayant pas l’expérience d’une histoire commune avec l’Afrique.

La découverte la plus impressionnante a été celle des Chinois. En quelques années, une vraie communauté chinoise s’est créée sous les regards intrigués des habitants de la capitale. Cet intérêt  est provoqué par deux particularités : sa nouveauté et sa visibilité. Ni vie commune, ni affinités culturelles, juste l’oeuvre de la mondialisation.

Syriens en premier lieu, Libanais ensuite, les Arabes, par leur diversité, représentent un autre défi. Ils sont tous perçus comme des musulmans et des Arabes[10], sans distinction de nationalité. Ce groupe est uniformisé par le regard des Autres.

Les Britanniques représentent une forme inédite d’immigration, celle de la retraite et des loisirs.[11] Leur nombre est faible, mais augmente. Des familles achètent des maisons dans des

villages pour s’y installer, ou pour avoir une résidence secondaire, profitant du faible prix de l’immobilier.

Les cinq groupes diffèrent à plusieurs égards : période d’installation, profil socio- professionnel, stratégie d’intégration.

L’immigration russe est la plus ancienne, elle est la seule à avoir déjà trois ou même quatre générations. La première vague – des Russes Blancs chassés par la révolution soviétique – arrive dans les années 1920.  Les liens entre la Bulgarie et l’Union soviétique ont encouragé une immigration nombreuse.

Les communautés arabes et africaines partagent la même histoire d’installation. Les premiers représentants des deux groupes sont arrivés dans les années 60-80 comme étudiants, que le régime communiste accueillait pour appuyer sa politique d’ouverture et de soutien au Tiers monde. Après l989, leurs parcours se sont singularisés : avec l’arrêt de l’attribution de bourses, le nombre d’Africains a drastiquement diminué. A la même époque de nombreux Arabes sont arrivés pour profiter de la transition vers une économie de marché.

L’immigration chinoise est économique. A la différence des Africains et des Arabes, les premiers Chinois s’installent pendant les  premières années de la transition.

Les profils socioprofessionnels varient considérablement : les Chinois occupent deux niches – la restauration et le commerce de vêtements, métiers qui ne demandent pas un haut niveau d’études. Les Africains se situent au pôle opposé –  médecins, économistes… Paradoxalement, on les retrouve souvent les uns à côté des autres, la crise économique pendant la première décennie de la transition obligeant certains diplômés à accepter des emplois non qualifiés. Les dernières années, la situation des Africains s’est considérablement améliorée grâce à leur compétence linguistique. Plusieurs d’entre eux ont été embauchés par des compagnies étrangères qui offrent des emplois aux francophones.

Les Arabes ont des activités économiques plus diversifiées, surtout dans le commerce, ainsi que dans les finances, l’immobilier et la construction. Ils sont présents à toutes les échelles, petits, moyens et grands entrepreneurs.

La plupart des Britanniques sont retraités, mais certains se lancent dans l’immobilier et l’investissement. Les Russes travaillent aussi dans l’administration, ce qui n’est qu’exceptionnellement le cas des représentants des autres communautés. Pendant l’ancien régime, l’apprentissage de la langue russe était obligatoire, ce qui créait beaucoup d’emplois dans l’enseignement. Aujourd’hui, la compétence linguistique est un atout pour le business et certains travaillent dans les filiales de compagnies russes, ou dans des compagnies locales tournées vers le marché russe.

La plupart des immigrés[12] travaillent dans des compagnies tenues par des étrangers – les leurs, celles de leur co-nationaux ou celles d’autres étrangers. Les immigrés embauchent des natives plus que les natives n’embauchent des immigrés. Paradoxalement, le chômage et la crise économique des années 1990 ont touché plus les nationaux  et moins les immigrés. Pénible pour l’écrasante majorité des nationaux, le passage à l’économie de marché s’est avéré propice pour les étrangers : on pouvait commencer un business avec un tout petit capital ; sans véritable concurrence face à des natives ignorant les mobiles de l’économie de marché (Krasteva 2005, 2008).

Les représentations construisent des portraits différents des immigrés :

  • Le(a) Russe est passé(e) de l’image du « Grand frère » à celle  de l’immigré normal ;
  • Le Chinois est l’inconnu exotique qui intrigue ;
  • L’Arabe musulman est le « cousin » de notre Turc familier, mais dont souvent on se méfie ;
  • A forte différence, réactions contrastées. L’Africain est célébré ou repoussé ;

Le Britannique est la preuve de notre attractivité, une forme de consolation. Si de nombreux Bulgares ont choisi la Grande Bretagne (UE), au moins certains Anglais ont fait le choix inverse (Krasteva 2005, 2008).

Plus jeune, plus actif, plus entrepreneurial que les nationaux moyens, c’est le portrait sociologique d’une immigration qui n’est pas sélectionnée, mais pas subie non plus.

Conclusions :

la migration pour vivre autrement

Les deux conclusions portent sur cette autre immigration, ainsi que sur l’émigration pour vivre autrement.

Mineurs polonais ou italiens en France ou en Belgique au début du XXs., domestiques philippines au début du XXI s, ce sont des figures typiques de l’immigration occidentale. Des immigrés créant leur propre emploi, voire leur propre entreprise, commence à s’affirmer comme tendance dans l’UE 15 ; c’est le cas typique dans les PECO.

En comparaison avec les pays occidentaux,  l’immigration est européenne est  plus récente, moins nombreuse, moins marquée par passé partagé et logique de couples migratoire, assez active économiquement, entrepreneuriale. Ce profil est  d’autant plus surprenant qu’il n’est pas le résultat de politiques préméditées et soutenues.

Le capital symbolique du phénomène d’immigration vient contrebalancer la fuite du capital démographique, intellectuel et culturel de l’émigration.  Les immigrés rétablissent la confiance de soi aux peuples et gouvernements désapprouvés par le vote des pieds de leurs propres citoyens.

La seconde conclusion concerne le capital symbolique de la migration comme mobilité. Z. Bauman (2002) identifie une nouvelle source d’inégalité : aux sources économique, sociale et culturelle, il ajoute l’accès à la mobilité. Son analyse des inclus/exclus de la mobilité est sociologique, l’intelligibilité du phénomène migratoire postcommuniste nécessite qu’on y ajoute la dimension politique. A la différence de l’émigration communiste, politisée et traumatisante,  l’émigration postcommuniste est fraiche et vibrante : non seulement quitter un pays pour un autre, mais abandonner la fermeture pour l’ouverture, remplacer l’étroite perspective nationale[13] par une perspective internationale et globale. Ce que les migrants postcommunistes sont en train de découvrir et de construire, c’est l’expérience inédite de s’installer dans la  mobilité et de s’inscrire dans la mondialisation. Et pour compléter cette perspective avec une touche normative, je finirai avec l’idée de la mobilité comme liberté, pour travailler, vivre, être autrement.

Bibliographie

Badie B. et al. (2008)  Un autre regard sur les migrations.- L’Atlas des migrations. Le Monde hors série.

Baldwin-Edwards M. (2005) Balkan migrations and the European Union: patterns and trends.- The Romanian Journal of European Studies, N 4, 31-44.

Bauman Z. (2002) Le cout humain de la mondialisation. Paris : Hachette.

Bernard Ph. (2008) Tous les migrants ne sont pas libres et égaux.-  L’Atlas des migrations. Le Monde hors série, 116 – 117.

Krasteva A. (2005) Chinese in Bulgaria.- In: Chiodi L. (ed) The borders of the polity. Migration and security across the EU and the Balkans. Ravenna: Longo Editore,  59 – 80.

Krasteva, A. (ed) Immigration in Bulgaria. Sofia: IMIR, 2005. (in bulgarian)

Krasteva A. (2008) L’immigration en Bulgarie.- esprit d’entreprise et question d’intégration.- Hommes et migrations, N spécial 1274 Minorités et migrations en Bulgarie, 112- 129.

Krasteva A. (2010) Introduction.- In : Krasteva A., A.Kasabova, D. Karabonova (eds) Migrations from and to Southeastern Europe. Ravenna: Longo Editore,9 – 14.

Li Chunling (2010) Institutional and non institutional path: different processes of socioeconomic status attainment of migrants and non-migrants in China.- In: Proceedings of the conference “Internal and international migrations: a comparative perspective”, Beijing, March 23-24.10., CASS, 35 – 45.

Manssor A. and B. Killing (2006) Migration and remittances. Eastern Europe and the former Soviet Union. The World bank.

Memaj F. Qarri A., P. Dollani (2010) Brain drain : the Albanian case.- In : Krasteva A., A.Kasabova, D. Karabonova (eds) Migrations from and to Southeastern Europe. Ravenna: Longo Editore, 121 – 126.

Mendras H. (1997) L’Europe des Européens. Paris : Gallimard.

Tragaki A. (2007) Demography and migration as human security factor: the case of South Eastern Europe.- Migration letters, vol. 4, N 2, 103 – 118.

Wihtol de Wenden C. (2005) Atlas des migrations dans le monde. Paris: Editions Autrement.

Wihtol de Wenden C. (2008) Atlas mondial des migrations. Paris: Editions Autrement.


[1] Krasteva A. L’est postcomuniste. De la migration comme contrainte a la migration comme liberté.- In : Diogo F., R. Lalanda Concalves et L. Tomas (eds) Les nouvelles configurations de la mobilite humaine. Fribourg : Academic Press Fribourg, 2012, 25 – 36.

[3] L’Albanie est, avec Moldova, le plus grand exportateur d’êtres humains trafiqués dans les  PECO.

[4] Ce droit n’est pas octroyé par le communisme, plusieurs dispositifs sont fabriqués pour l’évaporer par rapport aux migrations  internationales (visa de sortie), ainsi que par rapport  aux mobilités internes (permis de résidence). Pour comparaison, si la Chine a aboli le premier, elle garde encore le second dispositif : le système hukou (Li Chunling 2010).

[5] Bien que 20-30% des immigrés est européens en font partie.

[6] Émigrés par mille habitants en 2003.

[7] Pendant la période 1990 – 2003, 3 400 000 départs de Russie sont enregistrés contre 8 200 000 arrivées (de Wenden C. W. 2009, p. 38).

[8] Pour les voir Windol de Wenden 2005, p. 8-9.

[9] surtout à ses debuts

[10] Si Arabe en France signifie surtout Maghrébin, en Bulgarie, les Arabes viennent surtout du Proche et du  Moyen Orient.  A part l’indistinction par rapport à la nationalité, on fait aussi des indistinctions erronées, considérant p.ex. les Iraniens comme des Arabes.

[11] Un autre pays de la région qui jouit de ce type d’immigration, la Croatie, en a une plus longue expérience – pendant la période yougoslave Serbes, Slovènes, Bosniaques et aujourd’hui Autrichiens, Allemands, Hollandais sont nombreux à avoir des résidences secondaires sur la côte adriatique.

[12] A l’exception des Russes et des Britanniques, pour des raisons différentes.

[13] quelle soit celle du pays d’origine ou du pays d’accueil

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