Profil migratoire de la Bulgarie

L’Etat bulgare, dont les origines remontent au haut-Moyen-Age ne retrouve son indépendance qu’en 1878 après cinq siècles de domination ottomane, qui ont laissé une forte empreinte humaine et culturelle, dont certains types de rapports migratoires à l’espace. Il occupe une position centrale au coeur des Balkans entre Danube et Mer Noire, à la lisière sud-est de l’Union Européenne (entrée en 2007) entre Russie et Turquie. Depuis le 1er janvier 2014, les Bulgares qui restaient soumis à l’obligation du visa Schengen, sont désormais libres d’accéder au travail dans l’ensemble de l’Union, sans être pour autant membres de l’espace Schengen. Ce libre accès à la circulation et au travail à l’ouest constitue une étape concrète et symbolique très importante de la transition postcommuniste, pour une société qui sort de cinquante ans de fermeture rigoureuse. La migration est l’une des expressions les plus appréciées de la démocratisation : les citoyens ont dissocié leur projets de vie de ceux de l’Etat, votent en partant contre la lenteur des reformes, la corruption, les bas salaires et le chômage, font l’experience de toutes les formes de mobilites et migrations. L’émigration l’emporte encore sur l’immigration, mais l’intégration europeenne commence à influer sur le rapport entre les deux, l’attractivité externe du pays s’accroit; les immigrés reterritorialisent le pays, déteritorialisé par le depart de ses propres citoyens, en y investissant énergie et projets de vie.

Gildas Simon_Dictionnaire des migr int_Couverture

IMMIGRATION

Un peuplement moins hétérogène que dans d’autres pays

Le territoire de Etat bulgare fait plutôt exception dans la mosaïque ethno-lingusitique des Balkans par l’ancienneté et une moindre hétérogénéité de son peuplement au début du 20è s..Les Bulgares sont issus d’un peuple d’origine turco-mongole, arrivé au 7è s., dont la langue et la culture se „slavisent“ au contact des populations slaves déjà installées. Le pays connaît une première expression politique et territoriale du 7è au 11èsiècle avant de disparaitre dans l’empire byzantin (conversion à l’orthodoxie), puis dans l’empire ottoman qui lui succède jusqu’aux traités de San Stefano et de Berlin (1878), qui démilitent alors un territoire abritant la majorité du peuple bulgare. Les références aux empires bulgares du Moyen-Age, une large adhésion à l’orthodoxie, la communauté de langue, proche du serbe, sont, dans les représentations bulgares, les ferments de l’unité nationale. Cependant des minorités bulgares subsistent en Macédoine du Nord, en Thrace, dans les provinces roumaines de l’empire ottoman, en Ukraine. A la suite des guerres balkaniques et du premier conflit mondial (1912-1919), les modifications de frontières engendrent des déplacements et des déracinements, des chassé-croisés plus forcés que volontaires, estimés à plusieurs centaines milliers de personnes, entre la Bulgarie et les Etats du voisinage;100 000 bulgares slavophones de Grèce gagnent la Bulgarie entre 1912 et 1932, cependant que 50 000 Grecs de Bulgarie rejoignent la Grèce. Les traités relatifs aux transferts de populations entre la Bulgarie et l’Empire ottoman (1913), puis avec la Grèce (1919), avaliseront, en réalité, des mouvements déjà accomplis. Au total, le pays devra gérer, dans l’entre-deux-guerres, l’installation de 220 000 réfugiés. Des transferts plus limités suivront pendant et après la seconde guerre mondiale, notamment entre Bulgares et Roumains en Dobrodja (traité de Craiova 1940) et de divers pays après 1945avec l’ arrivée de 85 000 personnes.

Au milieu des années 1920, les Bulgares largement majoritaires coexistent avec diverses populations d’appartenance linguistique différente (15% des effectifs globaux): Turcophones (577 000) fixés le long du Danube et dans la partie orientale des Rhodopes, Tsiganes (134 000), Roumains (69 000), Juifs (46 000) d’origine sépharade réfugiés d’Espagne après 1492, Arméniens ayant fui le génocide en Turquie, Grecs, Tatars venus de Crimée. L’immigration russe tient une place particulière dans une Bulgarie traditionnellement russophile, de l’arrivée des Russes Blancs fuyant la révolution bolchévique (1920), jusqu’à la période communiste (1949-1989) où la couleur politique change. Ces deux vagues d’immigration russe sont tres gendrées : masculine pour les soldats blancs, majoritairement feminine pendant la periode communiste. Les mariages mixtes characterisent les deux vagues, les dimensions politiques sont contrastées : les Blancs fuiaient l’URSS ‘rouge’, la proximité idéologique et géopolittique entre la Bulgarie et l’URSS facilitait l’immigration soviétique et faisait des deux pays comme un cas typique de couple migratoire.

 

L’immigration ou la nouvelle attractivité de la Bulgarie depuis la transition démocratique et l’entrée dans l’Union Européenne

Depuis la transition démocratique (1989) les Russes sont beaucoup moins nombreux à arriver. Le type de migrant russe varie considerablement d’une vague à l’autre (asile politique, immigration familiale, migration de travail). La communaute russe est, actuellement, la mieux intégrée, travaillant dans nombreux secteurs economiques, y compris à des postes de responsabilité, mais aussi, fait exceptionnel, dans l’administration publique. L’apprentissage obligatoire de la langue russe sous le régime communiste qui ouvrait les voies de l’enseignement s’est mué en atout pour le business, dans les filiales de compagnies russes en Bulgarie ou dans les sociétés bulgares orientées vers le marché russe. D’autres Russes, moins nombreux,qui ne s’installent pas,investissent dans l’immobilier au bord de la Mer Noire et dans certaines stations de vacances. où ils côtoient de nouveaux arrivants. Le nombre des Britanniques est faible, mais la visibilité importante. Profitant du faible prix de l’immobilier et d’un climat attractif, ces derniers achètent des maisons dans des villages pour s’y installer, ou comme résidence secondaire, certains se lancent dans l’immobilier et l’investissement.

L’arrivée de populations originaires des pays du Sud consitue une véritable nouveauté dans le paysage migratoire. Des étudiants boursiers d’Afrique et du Moyen-Orient arrivent sous le régime communiste (1960-80) mais l’arrêt de l’attribution de bourses après l989 fait chuter le nombre d’Africains. A la même époque de nombreux arabes arrivent dans le cadre de migrations d’investissement et de travail pour profiter de la transition vers l’économie de marché. Les arabes, et d’autres migrants du Proche et Moyen Orient (afghans, iraniens), ont des activités diversifiées à toutes les échelles d’entreprise (construction, commerce, finances, immobilier). L’installation des Chinois, qui date du début des annees 1990, illustre les nouvelles logiques migratoires liées à la mondialisation; ils pratiquent les métiers de la restauration et le commerce de vêtements. Bien que, tous ces groupes soient touchés par la crise économique depuis 2009, les entrepreneurs étrangers embauchent des Bulgares plus que les Bulgares n’embauchent des immigrés. Les migrants preferent s’installer à Sofia dans la capitale (qui abrite le tiers des étrangers) et dans les plus grandes villes (Plovdiv,Varna, Burgas). Jeune, actif, entrepreneurial, le portrait sociologique du migrant en Bulgarie est positif, c’est la principale différence entre les pays classiques d’immigation et certains pays post-comunistes.

L’institutionalisation de la politique migratoire étant tardive, il y a un manque flagrant de statistiques publiques. Officiellement, la Bulgarie présente l’un des taux les plus bas d’immigration et de présence étrangère (1,3% de la population ou 104 000 d’apres les données de l’OIM pour 2005), mais l’entrée dans l’Union Européenne (2007) aiguise désormais l’intérêt de la citoyenneté bulgare pour les descendants bulgares de la vieille „diaspora“continentale (Macédoine, Moldavie, Ukraine). La Bulgarie a signé, en 1993, la Convention de Geneve, expression de la transformation du schéma migratoire communiste vers un modèle plus européanisé. Les demandes d’asile ont été multipliées par 10 en dix ans, sans pourtant atteindre des chiffres alarmants (276 en 1993, 2 888 en 2002) le statut de refugié n’est octroyé qu’à une dizaine de personnes par an, les autres ne recevant qu’un statut temporaire. L’adhésion de la Bulgarie à l’Union européenne (2007) nourrissait la crainte d’une augmentation exponentielle du nombre de demandeurs d’asiles, mais en réalité le nombre de demandes est stable (1000 par an en moyenne). L’origine des principaux demandeurs (Afghanistan Irak, Arménie, Iran, Syrie Algériens, Nigeria) exprime, au delà de la situation intérieure des Etats d’origine, le fonctionnement d’une route migratoire connue, de l’Asie vers l’UE, les stratégies de contournement de la surveillance en Méditerranée et la mondialisation migratoire en cours. L La traite des êtres humains – phénomène post-communiste dont la Bulgarie est aussi un pays d’origine- est un autre versant de la question du transit. Du fait de sa position frontière au sud-est de l’espace de l’Union, la Bulgarie exerce depuis les années 1990 cette fonction pour les migrants d’Asie et du Moyen-Orient attirés par les pays occidentaux et transitant par la frontière avec la Turquie (259km). Disposant déjà du poste-frontière bulgaro-turc équipé de systèmes de surveillance sophistiqués financés par l’UE, la Bulgarie envisage d’une clôture de 30 km dans la région du Mont de Strandja où passent la majorité des immigrants clandestins en provenance du Moyen-Orient qui sont en majorité syriens, depuis la guerre en cours.

EMIGRATION

 

Des horizons migratoires peu ouverts sur le Nouveau Monde mais une circulation traditionnellement intense dans l’ancien empire ottoman

A la fin du 19é.s, les Bulgares, à la différence des autres peuples de l’Europe balkanique et centrale, sont très peu concernés par les migrations transatlantiques; au total moins de 80 000 Bulgares auraient émigré aux Etats-Unis entre 1820 et 1940. Par contre, ils circulent beaucoup dans le cadre du „gurbet„, terme turco-arabe signifiant le „travail en dehors de son lieu de naissance“; il s’agit de migrations saisonnières masculines à l’intérieur des provinces ottomanes pour des activités de l’artisanat du bâtiment, le commerce ou l’agriculture. Ainsi, grâce à la réputation d’endurance et leur savoir-faire dans le jardinage et l’horticulture , les hommes de la région de Turnovo migrent traditionnellement, chaque année vers les villes du Danube et principalement Bucarest où ils exercent jusque dans les années 1930 une sorte de monopole dans les périphéries maraichères de la capitale roumaine.

Le regime communiste: politisation et fermeture de l’espace bulgare

L’inclusion de la Bulgarie dans le bloc communiste, la liquidation de toute opposition entraînent le repli du pays, l’interdiction de circuler et d’émigrer.Un visa de sortie est institué; toute sortie non autorisée peut être punie d’une peine de 10 ans de prison et peut entrainer la perte de la nationalité (loi de 1948), ce qui rend impossible le retour de ceux qui ont réussi à sortir. On estime à 20 000 le nombre de Bulgares qui ont réussi à quitter le pays, souvent qualifiés d „ennemis du peuple“ et à obtenir le statut de réfugiés à l’Ouest, entre la fin des années 1950 jusqu’au milieu des années 1980. Outre les migrations à caractère ethnique (voir infra), les exceptions concernent les étudiants dans les pays communistres et les migrations de travail sous contrat dans les „pays frères ou amis“. La Bulgarie signe des conventions de travail temporaire, avec les pays du bloc communiste et des Etats méditerranéens et africains. Ces accords bilateraux prévoient des expatriations temporaires et strictement contrôlées par l’Etat qui prélève, au passage, une partie considérable du salaire payé par les pays d’emploi. Au cours des années 1960-80, quelques dizaines de milliers de „coopérants“ qualifiés bulgares travaillent dans l’enseignement et le secteur médical au Maghreb, la recherche pétrolière en Afrique, la reconstruction au Vietnam. Ces expériences de travail à l’étranger, ont contribué, semble-t-il, à la diffusion très rapide du phénomène migratoire dans la Bulgarie post-communiste.

Au coeur d’un contentieux historique, l’expulsion massive des Turcophones vers la Turquie(1989),

Depuis l’indépendance et le retrait de l’empire ottoman (1878), l’émigration volontaire ou forcée de la minorite turque, et plus largement musulmane, est une constante de l’histoire migratoire de la Bulgarie. Expression d’une émancipation longue et douloureuse par rapport aux Ottomans, la minorité turcophone cristallise les relations passionnelles entre Bulgarie et Turquie. Dès le début du processus de l’accession à l’indépendance, un fort courant entraine les élites sociales et urbaines en charge de l’administration publique vers le territoire ottoman. Selon les sources bulgares, les départs intervenus de l’indépendance jusqu’à la veille de la seconde guerre mondiale, concerneraient 350 000 Musulmans,(Turcs en grande majorité turcs mais aussi Pomaks (bulgares musulmans),Tatars de Crimée), mais plus d’un million selon les sources turques. Plus d’un demi-siècle après (1950-1951), sous le regime communiste, la collectivisation forcée de la terre engendre une nouvelle vague de 155 000 départs. Au cours des années 1970, un accord turco-bulgare sur la réunification des familles relance l’émigration de 130 000 personnes vers la Turquie. A partir de 1984, le gouvernement communiste lance une campagne de „bulgarisation“ qui vise à faire disparaître tous les noms d’origine turque et arabe dans le pays, interdit la pratique de la langue turque dans les lieux publics et les rituels musulmans, la diffusion de la musique turque. A l’été 1989 à la veille de la chute du regime, les autorités déclenchent une vague d’émigration surnommée „la grande excursion“, qui aboutit à l’expulsion massive de 350 000 Turcs Bulgares jusqu’à la fermeture des portes par la Turquie; c’est l’une des émigrations dans la panique ou sous la force les plus massives en Europe après la Seconde guerre mondiale et avant celles provoquées par l’éclatement de la Yougoslavie. On estime à 150 000, le nombre de ceux qui, ne pouvant s’intégrer, sont revenus en Bulgarie depuis les changements démocratiques. Malgré les pertes migratoires, le poids démographique des Turcophones reste stable: 660 000 en 1956 (8,6% de la population nationale), 757 000 au recensement de 2001 (9,5%). Depuis cette crise, la migration de discrimination „ethnique“ vers la Turquie évolue vers des logiques économiques portées par la recherche de travail dans ce pays qui devance nettement l’Allemagne comme premier pôle d’émission de revenus migratoires (596 millions $ sur un total de 1,376 milliards $ en 2012 source Banque Mondiale).

La société post-communiste comme société migratoire, un accès progressif à la libre circulation européenne, un espace migratoire en voie de mondialisation rapide

L’émigration est l’une des libertés recouvrées dont les citoyens post-communistes ont profité en grand nombre. Le nombre de Bulgares qui ont émigré temporairement ou définitivement depuis 1990 est estimé à deux millions, dont 700 000 depuis 2006 (10-15% de la population). Le retour à la liberté a généré au début des années 1990 une intense circulation à finalité commerçante „commerce à la valise“, qui a fait place depuis l’ouverture très progressive de l’espace de l’UE au début des années 2000 à des migrations de travail temporaires dont la durée tend à s’allonger fixer depuis l’entrée dans l’Union (2007). Le modèle culturel du „gurbet“ reste vivant dans les mentalités collectives et opère sa mutation vers celui du „gasterbeiter„et du travailleur circulant saisonnier ou temporaire qui s’intègre sans difficultés dans le marché européen du travail. Composante très secondaire à l’intérieur de l’émigration bulgare, les Roms de Bulgarie sont la face la plus visible et la plus politisée de ce mouvement en Europe. Déjà très marginalisés sous le régime communiste, la transition a aggravé leur situation en les transformant en boucs émissaires du malaise général. Pour eux, l’émigration est la seule alternative au chômage et la forte discrimination en Bulgarie. L’émigration économique bulgare présente plusieurs formes: concentration dans les emplois peu qualifiés (construction et travaux publics, hôtellerie, restauration, santé), emplois pour lesquels les migrants peuvent accepter une certaine déqualification en raison de l’enjeu financier et de développement personnel (devenir acteur de son projet de vie). L’Europe du Sud, l’Espagne en priorité et dans une moindre mesure, l’Italie en sont les principales destinations. L’emigration de plus qualifiés est percue douloureusement par la société d’origine pour la perte de compétences mais de potentiel démographique et de culture démocratique. Elle se déploie dans le monde entier particulièrement en Allemagne, au Royaume-Uni , aux Etats Unis. L’ouverture mondiale de l’espace migratoire exprime le rôle très actif de la migration internationale dans l’évolution en cours au sein de la société bulgare.

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